Écrit par Julia Brothers, conseillère principale pour les élections et les processus politiques au National Democratic Institute
Les élections démocratiques reposent sur un processus compétitif, la confiance dans les institutions électorales et la participation éclairée de tous les citoyens. Cependant, le déploiement d’informations fausses, exagérées ou contradictoires dans l’environnement électoral a été efficace pour saper ces principes dans le monde entier. En interférant avec la formation et le maintien des opinions, la désinformation amplifie la confusion des électeurs, réduit la participation, galvanise les clivages sociaux, avantage ou désavantage certains partis et candidats, et dégrade la confiance dans les institutions démocratiques. Si les campagnes de désinformation antidémocratiques ne sont pas nouvelles, les technologies modernes de l’information et les plateformes par lesquelles les citoyens s’informent, notamment en ligne et via les réseaux sociaux, favorisent la diffusion de l’information à des vitesses, des distances et des volumes sans précédent lors des cycles électoraux précédents.
Les normes internationales en matière d’élections démocratiques garantissent des environnements d’information ouverts, solides et pluralistes qui favorisent la participation égale et complète des citoyens et des candidats aux élections. Ces normes sont inscrites dans des instruments internationaux et régionaux, qui reflètent des engagements préexistants, reconnus au niveau mondial, relatifs à la désinformation, notamment :
- Les droits d’avoir des opinions et de rechercher et recevoir des informations afin de faire un choix éclairé le jour du scrutin : Chacun a le droit de se forger, de conserver et de changer d’opinion sans interférence, ce qui fait partie intégrante du libre exercice du droit de vote.1 Les électeurs ont également le droit de rechercher, de recevoir et de communiquer des informations exactes qui leur permettent de faire des choix éclairés concernant leur avenir, sans intimidation, violence ou manipulation.2 En outre, les institutions sont généralement tenues d’être transparentes en ce qui concerne les informations électorales, afin que les électeurs puissent être informés et que les sources de données puissent être tenues responsables.3 Ces droits sont consacrés pour tous les citoyens sans distinction de race, de sexe, de langue, de zone d’origine, d’opinion politique ou autre, de religion ou de tout autre statut.4 De plus en plus, les organisations s’efforcent de lier ces normes à des principes axés sur la désinformation et le cyberespace. Les efforts de désinformation liés à l’élection portent atteinte à ces droits, car ils sont conçus pour étouffer le véritable débat politique en trompant intentionnellement les électeurs, en créant la confusion, en exacerbant la polarisation et en sapant la confiance du public dans le processus électoral.
- Le droit à des règles du jeu équitables : Le suffrage universel et égal pour tous, outre le droit de vote, comprend le droit de chercher à être élu à une fonction publique sans discrimination. L’obligation des gouvernements de garantir des conditions de concurrence équitables pour les candidats aux élections découle de cette norme. Le Comité des droits humains de l’ONU fournit des orientations à ce sujet dans son Observation générale 25 du PIDCP. Cette norme implique de fournir une protection contre les attaques diffamatoires et autres formes de fausses informations visant à nuire aux chances électorales d’un candidat ou d’un parti. Les obligations s’étendent aux médias contrôlés par le gouvernement, et la norme s’applique à l’éthique professionnelle des journalistes et des médias privés.5 La vérification des faits, d’autres formes de vérification et la surveillance des médias traditionnels et sociaux sont liées à cette norme, ainsi qu’au droit des électeurs de recevoir des informations exactes leur permettant de faire des choix électoraux en connaissance de cause. La manipulation de l’environnement informationnel peut nuire à une concurrence équitable, en particulier pour ceux qui sont touchés de manière disproportionnée par les campagnes de désinformation, comme les femmes et les communautés marginalisées, qui sont déjà confrontées à un terrain de jeu inégal.
- La liberté d’expression, la presse et la régulation : Les engagements susmentionnés doivent être contrebalancés par les libertés de chacun d’avoir des opinions et de les exprimer, y compris la nécessité de respecter et de protéger une presse libre. L’un des aspects de la lutte contre les campagnes de désinformation consiste à développer des cadres juridiques et réglementaires appropriés, y compris des sanctions efficaces. Les discours de haine genrés, raciaux, ethniques, religieux et autres formes de discours de haine et d’incitation à la violence sont souvent diffusés dans le cadre de campagnes de désinformation touchant à la fois les candidats et les électeurs. Les réglementations légales dans ce domaine, comme la protection de la réputation personnelle, peuvent être applicables dans le contexte de la désinformation. Toutefois, il ne faut pas accorder trop d’importance à la réglementation et il faut veiller à préserver la liberté d’expression tout en essayant de protéger l’intégrité de l’espace des informations pendant et après les élections. Le Comité des droits humains des Nations unies fournit des orientations à ce sujet dans l’Observation générale 34.
Compte tenu de ces conditions démocratiques nécessaires, l’existence et l’impact de la désinformation doivent être pris en compte dans toute évaluation globale d’un processus électoral. Même si une élection est bien organisée et transparente, un environnement informationnel fortement compromis avant et le jour du scrutin peut en compromettre la crédibilité. Il est essentiel d’identifier les types, les volumes et les modèles de fausses informations et de désinformation susceptibles d’affecter l’intégrité électorale pour en atténuer l’impact. Les observateurs politiques doivent analyser les déficiences de l’environnement informationnel en tenant compte des normes et des clivages sociaux du contexte local lorsqu’il s’agit de déterminer l’intégrité d’une élection et de créer de la responsabilisation pour l’ensemble des parties prenantes qui prennent part à des tactiques de désinformation ou en bénéficient.
Les garants traditionnels des élections, en particulier les observateurs électoraux, étendent leurs capacités, leurs activités, leurs relations et leurs efforts de défense des droits pour faire face aux menaces de désinformation qui pèsent sur l’intégrité électorale. La réfutation des fausses nouvelles par le biais de réseaux émergents de vérificateurs de faits et le renforcement de l’éducation aux médias et à l’informatique jouent un rôle important dans le renforcement de la résilience et l’amélioration de l’environnement informationnel autour des élections. Ces actions, ainsi que les efforts considérables déployés pour donner au débat politique les éléments d’information dont il a besoin et fournir des données électorales exactes, peuvent lutter contre le désordre de l’information. Tous ces efforts peuvent se compléter pour protéger les processus électoraux et politiques.
1. Articles 19 de la Déclaration universelle des droits de l'homme(DUDH) et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques(PIDCP). Observation générale 34, paragraphes 2, 4 et 7, Comité des droits de l'homme des Nations unies (CDH). Le CDH examine la mise en œuvre du PIDCP et présente ses interprétations des dispositions du traité dans ses observations générales.
2. « Les personnes ayant le droit de vote doivent être libres de voter pour tout candidat à une élection et pour ou contre toute proposition soumise à un référendum ou à un plébiscite, et libres de soutenir ou de s'opposer au gouvernement, sans influence indue ou coercition d'aucune sorte susceptible de fausser ou d'empêcher la libre expression de la volonté de l'électeur. Les électeurs doivent pouvoir se forger une opinion en toute indépendance, sans violence ou menace de violence, ni contrainte, ni incitation, ni ingérence manipulatrice d'aucune sorte. » - Observation générale 25, paragraphe 19, CDH.
3. Voir, par exemple, l'Observation générale 34, paragraphes 18 et 19, CDH.
4. Ces obligations sont fondées sur les dispositions relatives à la liberté d'expression contenues dans la DUDHD, le PIDCP, la Convention des Nations Unies contre la corruption (UNCAC), la Convention américaine relative aux droits de l'homme, la Convention de l'Union africaine sur la prévention et la lutte contre la corruption, et le Document de Copenhague de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), entre autres.
5. L'Observation générale 34, paragraphe 37, traite également de la campagne sur un terrain de jeu équitable.