9. Coordination entre les OGE et d’autres entités publiques

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Une étude de cas détaillée de la mise en place par le bureau électoral de l'État d'Estonie d'un groupe de travail spécial interinstitutionnelle pour lutter contre la désinformation lors des élections montre comment un organe de gestion des élections disposant d'un personnel limité et d'un mandat restreint peut mettre en place une réponse globale de lutte contre la désinformation.

Coordination entre les OGE et d’autres entités publiques

Les élections sont un foyer de désinformation et de fausses informations, mais elles ne sont certainement pas la seule cible des campagnes de désinformation lancées contre les acteurs démocratiques. Il est crucial de s’assurer que les entités publiques au-delà des OGE s’intéressent activement à la surveillance, à la dissuasion et à la sanction de la désinformation. La coordination avec ces autres entités publiques pendant les périodes électorales peut être essentielle pour améliorer la capacité d’un OGE à préserver l’intégrité électorale face à la désinformation et aux fausses informations. La coordination entre les entités publiques peut également permettre d’aligner les efforts et les messages afin de renforcer l’efficacité et d’éviter les approches non coordonnées qui pourraient s’avérer confuses. La coordination avec d’autres entités publiques peut également être une stratégie précieuse pour les OGE qui disposent de ressources limitées à consacrer aux initiatives de lutte contre la désinformation.

« L’organe de gestion des élections dans un système à petite échelle ne peut pas s’appuyer sur ses propres capacités et doit rassembler d’autres institutions spécialisées. Cela ne signifie pas que les différents pôles d’expertise doivent agir seuls, mais plutôt par l’intermédiaire de l’organe de gestion des élections en tant que point focal principal. » – Dr. Priit Vinkel, chef du bureau électoral de l'État estonien

9.1 Établir les domaines de responsabilité et les lignes d’autorité

La mission de lutte contre la désinformation d’un OGE doit être considéré conjointement avec les initiatives d’autres entités publiques pour promouvoir l’intégrité de l’information. Les ministères de l’Information, les ministères du numérique et les ministères des Affaires étrangères, par exemple, pourraient tous avoir des missions de lutte contre la désinformation. Les agences de renseignement de l’État, la police, les tribunaux, les organes de contrôle des médias et de la communication, les organes de lutte contre la corruption, les commissions des droits humains, les commissions de contrôle parlementaire et d’autres peuvent également avoir un rôle à jouer. 

Étant donné le nombre d’entités susceptibles d’être impliquées, dans le contexte électoral, il est utile de comprendre ce que font les différentes entités publiques et ce qui pourrait constituer une collaboration efficace. Il se peut que l’OGE veuille jouer un rôle d’autorité pendant la période électorale.  C’est ce qui s’est passé dans le cas de Bawaslu. Avant les élections, il est apparu clairement qu’il n’existait en Indonésie aucune institution habilitée à superviser les discours de haine et la désinformation sur les réseaux sociaux pendant la période électorale.

 

« Nous nous sommes posé une question : sommes-nous, en tant que Bawaslu, assez courageux pour nous engager, pour tout superviser ? … Nous nous sommes mis dans une situation délicate. » Commissaire Fritz Edward Siregar, Agence générale de surveillance des élections d’Indonésie (Bawaslu)

La clarification des lignes d’autorité peut garantir qu’il y ait une voix d’autorité dans les relations avec les entités non publiques, telles que les entreprises de réseaux sociaux ou les partis politiques. Les entreprises de réseaux sociaux, en particulier, sont plus susceptibles de s’engager si les attentes et les directives qu’elles reçoivent des entités publiques sont cohérentes. 

La coordination peut prendre la forme d’un groupe de travail, d’un accord de coopération formel ou d’un arrangement plus ponctuel et flexible. Le rôle de l’OGE peut être différent selon qu’il s’agisse d’un organe permanent qui prend des mesures spéciales pendant les élections, ou d’un groupe convoqué spécifiquement dans le but de contrer la désinformation pendant les élections. Dans le premier cas, un OGE peut être davantage considéré comme un partenaire ressource d’un organisme existant. Dans ce dernier cas, l’OGE peut mener la riposte. 

Au Danemark, les initiatives visant à organiser une réponse gouvernementale coordonnée face à la désinformation et aux fausses informations en ligne comprenaient la création d’un groupe de travail interministériel, qui avait un accent particulier mais non exclusif sur les élections. En Indonésie, Bawaslu, la KPU et le ministère des Communications et des Technologies de l’information ont signé un mémorandum d’action avant les élections de 2018 et ont poursuivi leur coopération lors des élections de 2019. L’accord s’est concentré sur la coordination des efforts pour superviser et gérer le contenu sur Internet, la coordination des échanges d’informations entre les institutions, l’organisation de campagnes éducatives et la promotion de la participation des électeurs. 

9.2 Faciliter la communication 

Une fois que les institutions ont convenu d’un accord de travail, elles doivent prendre des mesures pour le rendre opérationnel. Des discussions ciblées qui délimitent les responsabilités et les procédures de coordination peuvent poser les bases d’une communication flexible et réactive, permettant un alignement et une action rapides en cas de besoin. 

En Indonésie, Bawaslu a organisé une série de réunions en face à face non seulement avec le ministère des Communications et des Technologies de l’Information, mais aussi avec les services de renseignement, l’armée et la police pour discuter des lignes directrices, des procédures et des relations entre leurs institutions. Une partie de ces discussions consistait à identifier quelle entité et quelles personnes au sein de ces entités avaient le pouvoir de fournir des éclaircissements sur quelles questions.  Une fois la relation formelle établie, les agences ont communiqué via un groupe WhatsApp qui a permis d’obtenir des réponses rapides et de minimiser les formalités pouvant entraver une coordination efficace.

Pour illustrer le fonctionnement de la communication, Bawaslu a partagé un exemple dans lequel ils ont rencontré un message sur les réseaux sociaux alléguant que des véhicules officiels de l’armée étaient utilisés dans le cadre d’activités de campagne. Le ministère des Communications et des Technologies de l’Information disposait des outils nécessaires pour trouver le contenu et le porter à l’attention du groupe, mais manquait d’autorité pour prendre des mesures. L’action de modération des plateformes de réseaux sociaux était limitée car elles étaient incapables de déterminer si l’affirmation était vraie ou non. L’armée disposait des informations pour prouver que cette affirmation était fausse, mais n’avait pas le pouvoir de signaler le contenu pour qu’il soit retiré. En se coordonnant par le biais de leur groupe WhatsApp, toutes les parties concernées ont pu rapidement identifier le problème et y remédier - un exploit qui, selon Bawaslu, aurait pris plus d’une journée si la communication avait été acheminée par les canaux de communication officiels.

Le plan existant permet également aux institutions de se prononcer d’une seule voix en cas d’allégations graves pouvant avoir un impact sur l’intégrité électorale. Dans le cas du très médiatisé « canular des sept conteneurs » qui prétendait que des cargos remplis de bulletins de vote pré-votés avaient été envoyés à Jakarta, Bawaslu, la KPU et la police ont tenu une conférence de presse conjointe pour clarifier la situation. Le processus a permis de présenter un front uni dans l’effort pour lutter contre la désinformation lors de l’élection. 

9.3 Maintien de l’indépendance

En coordination avec d’autres entités publiques, le maintien de l’indépendance des OGE sera d’une importance primordiale.  Dans les pays où les ministères gouvernementaux, les agences de renseignement ou d’autres collaborateurs potentiels sont alignés avec un parti au pouvoir ou une faction politique, l’OGE doit porter un jugement sur l’opportunité et la manière de collaborer avec ces institutions. 

Cette décision peut être prise au cas par cas. Bien qu’une forte coordination existait entre un certain nombre d’entités en Indonésie, Bawaslu a délibérément choisi de ne pas utiliser le système LAPOR!, une plateforme qui facilite la communication entre le public et le gouvernement, notamment une fonctionnalité de réception des rapports et des plaintes du public qui aurait pu être adaptée au processus de renvoi des plaintes pour désinformation de Bawaslu. Bien que la plateforme ait été considérée comme un outil technologiquement sophistiqué qui aurait été d’une grande utilité, après de multiples discussions, Bawaslu a finalement décidé de ne pas utiliser le canal étant donné que l’utilisation d’un outil associé au parti au pouvoir pourrait compromettre la façon dont est perçue son indépendance.

 

« L’une de nos considérations lorsque nous travaillons avec d’autres est notre impartialité » - Commissaire Fritz Edward Siregar, Agence générale de surveillance des élections d’Indonésie (Bawaslu)

9.4 Intégration d’approches d’élaboration de programmes proactives et réactives

La coordination avec les organismes publics est un élément qui peut être ou est naturellement intégré dans les stratégies de lutte contre la désinformation proactives et réactives explorées dans d’autres sous-catégories de ce chapitre.

Stratégies proactives

Stratégies proactives de communication et d’éducation des électeurs pour atténuer les menaces liées à la désinformation – la coordination avec d’autres organismes publics peut être un moyen utile d’amplifier les messages auprès d’un public plus large. Par exemple, dans les cas où les pays disposent d’agences de santé publique crédibles, le fait de s’associer pour communiquer des messages sur la façon dont les procédures de vote changent à la suite de la pandémie de COVID-19 peut atténuer le risque que les modifications des procédures électorales fassent l’objet de désinformation. 

Planification de la communication de crise concernant les menaces de désinformation - L’inclusion d’autres organismes publics dans la planification de la communication de crise peut établir de la confiance et des relations de travail qui permettent aux OGE d’obtenir des éclaircissements et d’aligner leurs messages avec d’autres entités publiques dans un scénario de crise.  

Codes de conduite ou déclarations de principes de l’OGE pendant la période électorale– Si les codes de conduite sont élaborés de manière consultative, il peut être utile d’inclure dès le départ la participation d’autres organismes publics. Si les codes de conduite sont contraignants et exécutoires, une coordination telle que décrite dans la section « Processus de renvoi et de règlement des plaintes en matière de désinformation » peut s’avérer nécessaire.

Stratégies réactives

Surveillance des réseaux sociaux au regard de la conformité aux lois et aux règlements– Les OGE peuvent ou non être habilités à contrôler la conformité des réseaux sociaux ou à sanctionner les violations. Dans les cas où l’OGE partage cette mission avec d’autres institutions, il est essentiel de clarifier les missions comparatifs de chaque organisme et d’établir comment ces entités travailleront ensemble.  

Écoute sociale pour comprendre les menaces liées de désinformation– Une minorité d’OGE sera en mesure d’établir son propre système d’écoute sociale et de réponse aux incidents.  Les ministères de l’Information, les agences de renseignement ou les organes de surveillance des campagnes peuvent cependant déjà avoir la capacité de mener une écoute sociale. Il se peut qu’un OGE ne soit pas en mesure de préserver son indépendance et de se coordonner avec ces entités, mais si cela est possible, un OGE devrait envisager d’établir un canal par lequel les informations peuvent être efficacement relayées ou alors le personnel d’un autre organisme public peut intégrer l’OGE pendant les périodes électorales sensibles. 

Processus de renvoi et de règlement des plaintes en matière de désinformation - Pour la mise en œuvre, un OGE devra se coordonner avec les entités concernées pouvant être compétentes sur différentes plaintes. Il peut s’agir d’organismes de surveillance ou de réglementation des médias, de commissions des droits humains, de forces de l’ordre ou de tribunaux.