Écrit par Bret Barrowman, spécialiste principal en recherche et évaluation, preuves et pratiques d’apprentissage à l’International Republican Institute, et Amy Studdart, conseillère principale en démocratie numérique à l’International Republican Institute
Cadre conceptuel
Même dans l’environnement de partis politiques relativement démocratiques et compétitifs, deux dilemmes rendent difficile la lutte contre la désinformation. Premièrement, les partis compétitifs sont confrontés à une « tragédie des biens communs » en ce qui concerne la désinformation, selon laquelle un environnement informationnel sain conduit aux meilleurs résultats sociaux, mais incite également les acteurs individuels à obtenir un avantage électoral marginal en polluant le terrain. Deuxièmement, les partis ne sont pas des unités homogènes, mais sont des ensembles de candidats, de membres, de sympathisants ou de groupes d’intérêt associés distincts, chacun ayant ses propres intérêts ou motivations. Dans ce cas, même lorsque les organisations du parti s’engagent à respecter l’intégrité de l’information, elles sont confrontées à un dilemme « principal-agent » en ce qui concerne la surveillance et la sanction des co-militants. Ces dilemmes incitent les partis politiques et les candidats à éviter de s’engager ou de mettre en œuvre des réponses programmatiques. Les financeurs de la Démocratie, des Droits humains et de la Gouvernance (DDG) et les partenaires de mise en œuvre peuvent atténuer ces dilemmes en utilisant le réseautage et le pouvoir de rassemblement pour aider les partis à maintenir leurs engagements en matière d’intégrité de l’information, au sein des partis et entre eux.
Réponses programmatiques
Les professionnels en matière de DDG ont mis en œuvre un large éventail d’approches programmatiques pour réduire à la fois l’impact et l’utilisation de la désinformation et des tactiques connexes par les partis politiques pendant les élections. Ces approches sont résumées dans le tableau ci-dessous, selon la ou les « fonction(s) centrale(s) du parti » – les fonctions que les partis remplissent dans un système de partis démocratique idéal – sur lesquelles l’approche du programme est censée fonctionner. Cette typologie vise à fournir aux professionnels en matière de DDG un outil permettant d’analyser les systèmes de partis et les approches programmatiques, dans le but de concevoir des programmes adaptés aux défis des partenaires des partis politiques.
Approches du programme | Fonctions centrales du parti | |||
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Articulation d’intérêts (expression des intérêts des citoyens par le biais de campagnes électorales ou de la mise en œuvre de politiques) | Agrégation d’intérêts (regroupement de nombreux intérêts disparates, et parfois conflictuels, des citoyens en un seul ensemble une seule plateforme de politiques de image de marque) | Mobilisation (inciter les citoyens, généralement les sympathisants du parti, à participer politiquement, notamment en participant à des rassemblements ou à des événements, en menant des actions discrètes comme la signature de pétitions ou la prise de contact avec des représentants, et surtout en votant). | Persuasion (tentative des partis ou des candidats de faire changer d’opinion les électeurs, les électeurs indécis ou les sympathisants de l’opposition, sur les candidats ou les questions politiques). | |
Programmes sur l’éducation aux médias numériques | * | * | * | |
Programmes sur l’IA et la désinformation | * | * | ||
Programmes pour les espaces en ligne fermés et les applications de messagerie | * | * | ||
Programmes sur la collecte de données, la technologie publicitaire et le microciblage | * | * | * | |
Programmes sur le contenu et les tactiques de désinformation | * | * | ||
Programmes de recherche sur la vulnérabilité et la résilience face à la désinformation | * | * | ||
Programmes pour comprendre la diffusion de la désinformation en ligne | * | * | ||
Programmes de lutte contre les discours de haine, l’incitation et la polarisation | * | * | ||
Recommandations et réformes politiques/Partage et adaptation des bonnes pratiques dans les réponses programmatiques | * | * | * | * |
Recommandations
- Lors de la mise en œuvre de ces approches programmatiques, tenez compte des incitations politiques en plus des solutions techniques.
- Les interventions programmatiques doivent tenir compte des intérêts divergents au sein des partis - les partis sont composés de fonctionnaires, d’élus, de groupes d’intérêt, de membres officiels, de sympathisants et d’électeurs - chacun d’entre eux pouvant avoir des intérêts particuliers à propager ou à tirer profit de la désinformation.
- Le problème de l’action collective de désinformation rend difficile les interactions ponctuelles avec des partenaires uniques - envisagez de mettre en œuvre des programmes techniques avec une interaction régulière et continue entre toutes les parties concernées pour accroître la confiance dans le fait que les concurrents ne « trichent » pas.
- Parallèlement, utilisez le pouvoir de mobilisation des donateurs ou des organisations de mise en œuvre pour rassembler les acteurs concernés à la table des négociations.
- Envisagez d’établir des pactes ou des engagements, en particulier en période préélectorale, dans lesquels tous les grands partis s’engagent à atténuer la désinformation. Il est important de noter que l’accord lui-même ne constitue que des paroles en l’air, par contre il convient de prêter une attention particulière à la conception des institutions, tant au sein du pacte qu’en dehors de celui-ci, afin d’en contrôler le respect.
- Il existe peu de preuves de l’efficacité des approches courantes des programmes de lutte contre la désinformation axés sur les partis politiques et la compétition politique, notamment l’éducation aux médias, la vérification des faits et l’étiquetage du contenu. Le fait qu’il existe des preuves limitées n’implique pas nécessairement que ces programmes ne fonctionnent pas, mais seulement que les financeurs et les partenaires de mise en œuvre de DDG (Démocratie, Droits des humains et Gouvernance) devraient investir dans l’évaluation rigoureuse de ces programmes pour déterminer leur impact sur les résultats clés tels que les connaissances politiques, les attitudes et les croyances, la polarisation, la propension à se livrer à des discours de haine ou de harcèlement, et les comportements politiques comme le vote, et identifier les éléments de conception qui distinguent les programmes efficaces des programmes inefficaces.
- Les réponses du programme de DDG ont eu tendance à retarder l’utilisation par les partis politiques de technologies sophistiquées telles que la collecte de données, le microciblage, les « deepfakes » et le contenu généré par l’IA. Les financeurs et les partenaires de mise en œuvre devraient envisager l’utilisation de fonds d’innovation pour générer des concepts de réponses visant à atténuer les effets potentiellement néfastes de ces outils, et pour en évaluer rigoureusement l’impact.