8. Coordination entre les OGE et la société civile

Les organes de gestion des élections peuvent se coordonner avec la société civile pour améliorer la portée de leurs messages ou étendre leur capacité à se livrer à des activités exigeant beaucoup de temps et de travail, comme la vérification des faits ou l’écoute sociale. La capacité à forger ces types de partenariats variera considérablement en fonction de la crédibilité, de l’indépendance et de la capacité des OGE et des OSC dans un pays donné. 

La collaboration OGE-OSC peut être formalisée à divers degrés. Par exemple, avant les élections indonésiennes de 2019, Bawaslu a signé un Protocole d’Action avec l’OSC de vérification des faits Mafindo, et l’OSC de surveillance des élections Perludem, décrivant les paramètres de leur coordination prévue pour lutter contre la désinformation et l’incitation en ligne. En Afrique du Sud, la coordination entre l’OSC Media Monitoring Africa et la CEI dans le développement de leur processus de renvoi et de règlement des plaintes en matière de désinformation comprenait une relation de travail étroite mais n’était pas formalisée. Bien que les partenariats doivent être examinés régulièrement pour s’assurer qu’ils servent toujours les objectifs visés, les relations de collaboration peuvent également être de longue durée, au lieu d’être réinventées à chaque cycle électoral ; Perludem a conclu un accord de coopération avec la KPU depuis 2015 pour faciliter, entre autres, les efforts d’information des électeurs.

La collaboration entre les OGE et les OSC nécessite un équilibre minutieux pour maintenir la crédibilité et l’indépendance perçue des deux entités. Pour les OSC, une relation visible avec un OGE peut légitimer et rehausser le profil du travail qu’elles accomplissent, mais elle peut aussi les exposer à des accusations de partialité ou d’abdication de leur rôle de surveillance des institutions gouvernementales. 

Dans le cas de Media Monitoring Africa, qui a joué un rôle essentiel dans le développement et la mise en œuvre du processus de renvoi et de règlement des plaintes en matière de désinformation de la CEI en Afrique du Sud, l’implication de la CEI dans l’initiative a donné au projet une visibilité et une crédibilité auprès des donateurs et auprès des entreprises de réseaux sociaux qui étaient initialement sceptiques à l’égard de cette idée. Cette crédibilité a à son tour permis à MMA de lever des fonds suffisants pour développer le projet et apporter son aide à la CEI sans frais pour l’institution, ce qui a supprimé toute relation financière qui aurait pu remettre en cause son impartialité. Prelude a également pour politique de ne pas recevoir d’argent de la part des OGE, et la directrice exécutive, qui a travaillé auparavant pour Bawaslu, veille à ce que la communication entre son bureau et les autorités électorales se fasse de manière transparente par des canaux officiels. 

Dans le même temps, une relation visible avec un OGE peut remettre en cause l’impartialité d’une OSC. Par exemple, le travail de vérification des faits de Mafindo consiste à lutter contre la désinformation concernant Bawaslu et la KPU, ce qui lui a valu d’être critiqué pour s’être trop appuyé sur les réfutations officielles de ces institutions plutôt que sur une vérification indépendante des affirmations étudiées. Prelude rapporte que les médias s’adressent à eux pour obtenir des éclaircissements sur certains sujets liés aux élections parce qu’ils fournissent des réponses plus rapides que les sources officielles, ce qui leur vaut d’être accusés de servir de département de relations publiques pour la KPU. 

8.1 CRÉATION DE COALITIONS

La coordination des OGE avec les OSC peut servir simultanément plusieurs objectifs, notamment la création d’un consensus sur la désinformation en tant que menace pour les élections, la coordination et l’amplification des réfutations et des contre-discours ainsi que la transparence et la responsabilité.

Tel que cela a été indiqué dans la section sur les codes de conduite et les codes d’éthique et la section sur les processus de renvoi et de règlement des plaintes en matière de désinformation, l’acte de consultation peut créer une base par laquelle un OGE commence à construire un réseau d’acteurs susceptibles de travailler ensemble pour lutter contre la désinformation électorale

Paragraphs

Highlight


En 2019, la TSE du Brésil a lancé son « Programme de lutte contre la désinformation » axé sur les élections de novembre 2020. Le programme a réuni une soixantaine d'organisations, dont des organismes de vérification des faits, des partis politiques, des établissements d'enseignement et de recherche et des plateformes de médias sociaux.

Le programme a organisé les efforts autour de six thèmes : Organisation interne de la TSE ; formation et renforcement des capacités ; endiguement de la désinformation ; identification et vérification des faits de désinformation ; révision du cadre juridique et réglementaire ; et amélioration des ressources technologiques.

L’engagement de Bawaslu auprès d’OSC, d’universités, d’organisations religieuses et de groupes représentant la jeunesse pour établir leur déclaration de principes et les consulter sur les définitions des contenus interdits dans les campagnes électorales a servi de base aux stratégies d’intervention multipartites de Bawaslu.  L’inclusion précoce des chefs religieux, par exemple, a permis de poser les bases d’une relation qui pourrait ensuite contribuer à renforcer la crédibilité de l’OGE, notamment dans le contexte des Hoax Crisis Centers (Centres de crise des canulars). Construire de grandes coalitions de cette nature est également quelque chose que l’INE au Mexique a fait avant les élections de 2018, rassemblant des représentants de la société civile, des médias, des universitaires, des dirigeants politiques ainsi que des représentants d’entreprises de réseaux sociaux pour une conférence afin de discuter de la lutte contre l’influence de la désinformation. Cette première conférence a ensuite été suivie de réunions de coordination entre des groupes de technologies civiques, des vérificateurs de faits et des groupes d’observateurs électoraux citoyens afin de collaborer à leurs initiatives de lutte contre la désinformation lors des élections. En août 2019, la TSE du Brésil a lancé son « Programme de lutte contre la désinformation », qui mettait l’accent sur l’éducation aux médias, après avoir rassemblé plus de 40 partenaires institutionnels, notamment des médias, des agences de vérification des faits et des représentants d’entreprises de technologie et de réseaux sociaux.

La mise en place de réseaux et de coalitions peut également aider les OGE à amplifier les messages d’information des électeurs et les messages pour lutter contre la désinformation ou l’incitation. Par exemple, une partie du MoA décrivant la coopération entre Bawaslu, Marino et Perludem comprenait une stratégie conjointe de diffusion de l’information pour maximiser le réseau de chaque organisation pour une meilleure diffusion. En outre, Perludem a entrepris des efforts d’information des électeurs en coopération avec la KPU pour promouvoir la compréhension de chaque phase du processus de vote et le rôle de l’OGE - une tactique de communication proactive qui peut rendre plus difficile pour les électeurs d’être trompés par la désinformation et les fausses informations sur le processus électoral. Ils ont également travaillé avec les deux organes de gestion des élections pour intégrer des fonctionnalités de site Internet permettant la mise en réseau des informations entre les OGE, leur propre travail et le travail des journalistes. Dans le cadre de cette initiative, ils ont travaillé avec la KPU pour développer une API pouvant être utilisée pour extraire directement des données officielles de la KPU afin d’alimenter le site Internet de Prelude. Ils ont également permis de canaliser les signalements de désinformation du public vers Bawaslu en intégrant le site Internet de Perludem à CekFacta – un réseau de vérification des faits pour journalistes. 

La coordination avec les OSC peut également aider à promouvoir la responsabilité des organes de gestion des élections. Par exemple, Prelude, en plus de fournir un portail via lequel les individus peuvent signaler des plaintes de désinformation à Bawaslu, a également surveillé la progression des signalements qui ont été soumis via leur système pour plus de transparence sur la façon dont les signalements étaient traités.

8.2 VÉRIFICATION DES FAITS ET RENVOI DES PLAINTES

Il est peu probable qu’un OGE ait la capacité ou le besoin de réaliser une vérification des faits. Cependant, le fait que l’OGE contribut de façon externe à une opération de vérification des faits peut renforcer l’efficacité de ces initiatives autour d’une élection. 

L’établissement de liens de communication avec l’OGE peut permettre aux organisations de vérification des faits de recevoir des éclaircissements rapides si l’OGE peut se prononcer avec autorité sur l’exactitude d’une information fausse ou trompeuse en circulation. 

L’INE a eu un rôle à jouer dans l’initiative de vérification des faits #Verificado2018 au Mexique, qui est abordé plus en détail dans le chapitre sur les réponses de la société civile. La collaboration a été particulièrement précieuse le jour du scrutin, car l’INE a pu clarifier rapidement plusieurs situations. Par exemple, l’INE a rapidement filmé et partagé une vidéo expliquant pourquoi les sites de vote spéciaux étaient à court de bulletins de vote en réponse aux plaintes émanant de ces sites de vote. Les journalistes de #Verificado2018 ont également consulté l’INE pour vérifier ou réfuter les informations faisant état de violences liées aux élections, ces informations étant ensuite largement diffusées via les médias. L’accord de l’INE avec l’équipe de journalistes #Verificado2018 était que les autorités électorales fourniraient des éclaircissements sur chaque problème qui leur serait signalés dès que possible et que l’équipe de journalistes Verificado, à son tour, consulterait l’INE avant de publier les allégations, en plus de demander confirmation par le biais de sources indépendantes. 1 

L’arrangement entre MAFINDO et les autorités électorales indonésiennes - à la fois Bawaslu et la KPU - a également été conçu pour faciliter une clarification rapide dans les cas où des informations erronées ou des désinformations électorales leur ont été signalées par le réseau de vérification des faits. Dans la pratique, il était parfois difficile d’obtenir des éclaircissements rapides, un problème que MAFINDO a attribué à l’inefficacité des flux internes d’informations qui pourrait entraîner la réception d’informations contradictoires de différentes personnes au sein des OGE.

Les organisations de vérification des faits au Brésil étaient également insatisfaites de la rapidité et de l’exhaustivité des réponses aux demandes de clarification qu’elles ont adressées à la TSE lors des élections de 2018. La TSE a indiqué que le volume des demandes de clarification qu’elle a reçues a dépassé ses attentes et la capacité de son personnel à y répondre. 

Du point de vue de l’appui à l’élaboration de programmes, la coordination avec les acteurs externes et la clarification des lignes de communication internes dans le cadre de la planification stratégique et de la communication de crise est quelque chose qui pourrait être utile. Les OGE doivent être prêts à être sollicités par les organisations de vérification des faits, en reconnaissant que la rapidité de réaction est importante. Un protocole de communication doit préciser qui doit recevoir, traiter et suivre la réponse aux demandes d’informations, qui au sein de l’OGE a le pouvoir d’émettre une clarification et quel sera le processus interne de vérification de l’exactitude des informations.

8.3 Externalisation de l’écoute sociale

À l’instar de la vérification des faits, l’écoute sociale en vue d’une réponse rapide aux incidents est une autre activité très exigeante en termes de main-d’œuvre et que les OGE peuvent ne pas avoir la capacité de mener seuls. La société civile peut être en mesure de combler cette lacune grâce à des partenariats avec les OGE.

En 2012 et 2016, l’organisation médiatique indépendante Penplusbytes a créé des Centres de Suivi des Réseaux Sociaux (SMTC pour Social Media Tracking Centers) pour surveiller les réseaux sociaux pendant les élections ghanéennes. Les SMTC ont utilisé un logiciel à code source libre qui présente les tendances en matière de logistique de vote, de violence, de partis politiques et d’autres sujets. Celles-ci ont été surveillées pendant une période continue de 72 heures par le personnel de Penplusbytes et les étudiants universitaires. Le processus comprenait une équipe de suivi surveillant l’environnement des réseaux sociaux et transmettant le contenu suspect à une équipe de vérification qui vérifiait l’exactitude du contenu qui leur était transmis. Le contenu problématique était ensuite envoyé à une équipe responsable de la remontée des informations, qui les transmettait au Groupe de Travail pour la Sécurité des Élections Nationales. Les membres des SMTC ont également été intégrés à la Commission Électorale Nationale. 

S’il n’est pas possible de mettre en place un initiativee dédiée comme celui des SMTC, un OGE peut être en mesure d’atteindre de nombreux objectifs d’écoute sociale grâce aux partenariats existants. L’échange de renseignements sur les tendance liés à l’élection avec des réseaux de vérification des faits peut être un moyen pour les OGE d’atteindre leurs objectifs d’écoute sociale sans avoir à investir dans la création de capacités internes pour effectuer ce travail. De même, les portails créés par les OGE permettant au public de signaler un contenu problématique afin qu’il soit examiné, comme l’initiative Real 411 en Afrique du Sud, peuvent fournir une approche participative pour mieux comprendre les discours problématiques circulant sur les réseaux sociaux.

Footnotes

1« New challenges for democracy: Elections in times of disinformation,” Instituto Nacional Electoral (2019): 11.