Un nombre limité d’OGE a pour mandat de surveiller l’utilisation des réseaux sociaux par les candidats, les partis, les médias ou d’autres acteurs électoraux désignés afin de garantir le respect du cadre juridique et réglementaire. La surveillance peut viser à faire respecter les limites légales aux dépenses de campagne pour la publicité politique sur les réseaux sociaux ou les limites de campagne en dehors d’une période de campagne désignée, ou à appliquer des restrictions sur les contenus qui ont été jugés illégaux dans le contexte d’une élection. Pour de nombreux OGE, cette responsabilité ne fait pas partie de leur mandat légal. Dans ces cas, la mission de surveillance et d’application peut incomber à une autre entité, telle qu’un organe de surveillance des médias ou du financement politique ou une agence de lutte contre la corruption, et les orientations décrites dans cette sous-catégorie seraient applicables à leur travail. L’élaboration de moyens de surveiller la conformité des réseaux sociaux doit aller de pair avec la mise en place de cadres juridiques et réglementaires qui régissent l’utilisation des réseaux sociaux pendant les campagnes et les élections. Sans la mise en place d’une capacité de contrôle, d’audit ou de toute autre forme de surveillance efficace, les lois et règlements régissant l’utilisation des réseaux sociaux pendant les élections sont inapplicables.
En vérité, l’élaboration de mécanismes efficaces pour surveiller le comportement en ligne des acteurs électoraux est un défi sans solutions toutes prêtes pour de nombreux organes de surveillance. Les efforts visant à assurer une surveillance efficace dépendent souvent fortement des outils de transparence mis à disposition par les plateformes de réseaux sociaux. Facebook est en avance sur les autres plateformes pour déployer des outils de transparence en matière de publicité politique et les étendre à d’autre pays, mais de nombreux pays n’y ont toujours pas accès et les utilisateurs locaux ont reproché à la Bibliothèque de Publicités de Facebook de ne pas être complète. Les outils de transparence de Google en matière de publicité politique ne sont disponibles que dans l’UE et dans une poignée d’autres démocraties consolidées, sans aucun effort observable en 2020 pour étendre la disponibilité de ces outils à davantage de pays. D’autres plateformes offrent des outils encore plus limités pour la transparence de la publicité politique.
Bien qu’il existe une gamme d’outils commerciaux permettant d’agréger le contenu des réseaux sociaux afin d’aider à l’analyse des messages en ligne et du comportement des acteurs politiques, le manque d’adaptation de ces outils à l’usage des organes de surveillance reste un défi. Les outils commerciaux sont également souvent coûteux. Pour l’anecdote, plusieurs organes de surveillance qui lancent de nouvelles initiatives de surveillance des réseaux sociaux pendant les élections ont partagé qu’à l’heure actuelle leur approche est en grande partie manuelle, consistant en des membres du personnel visitant les pages individuelles et les comptes d’acteurs politiques ou d’autres parties prenantes aux élections pour analyser le contenu publié.
Cependant, certains OGE dotés d’une mission de surveillance innovent et étendent leur capacité à surveiller les réseaux sociaux pour s’assurer de leur conformité légale et réglementaire. Bawaslu, par exemple, a surveillé les comptes officiels de réseaux sociaux des candidats politiques lors des élections indonésiennes de 2019, tout en reconnaissant les limites de cet effort, observant que les candidats gardent leurs pages officielles exemptes de controverse, tandis que tout contenu trompeur ou polémique serait diffusé et amplifié par des comptes de réseaux sociaux non officiellement associés à la campagne. Cet effort faisait partie d’une approche plus large de surveillance des réseaux sociaux en collaboration avec le ministère de l’Information et de la Communication et l’Unité de Police chargée de la Cybercriminalité, qui comprenait des efforts visant à détecter les campagnes coordonnées trompeuses sur les réseaux sociaux qui pourraient avoir des liens avec des candidats ou des partis politiques.
Les efforts de l’Instance Supérieure Indépendante Tunisienne pour les Élections (ISIE) visant à établir une capacité de surveillance des réseaux sociaux pendant la période électorale illustrent certaines approches et certains défis qu’un tel effort peut employer ou rencontrer. Le cadre juridique tunisien ne contient pas de dispositions explicites régissant l’utilisation des réseaux sociaux pendant les campagnes électorales. Cependant, au cours du cycle électoral de 2019, la commission électorale a décidé de surveiller le contenu en ligne et les réseaux sociaux pour s’assurer que les partis et les candidats respectaient les principes et les règles de la campagne. Ce travail a été entrepris dans le prolongement du travail effectué par l’Unité de Surveillance des Médias (USM) de l’ISIE, qui examine les médias électroniques et papier pendant les périodes électorales. Si l’USM a pu mettre en lumière l’utilisation des réseaux sociaux pendant les élections, elle s’est également heurtée à un défi commun aux efforts de surveillance des réseaux sociaux : définir les limites des comptes soumis à la surveillance. En Tunisie, comme dans d’autres pays, on a observé que la grande majorité des infractions provenait de pages et de comptes non déclarés plutôt que des comptes officiels des candidats. Cela crée des difficultés car dans la plupart des cas, les preuves sont insuffisantes pour attribuer définitivement ces infractions au candidat ou à la campagne bénéficiant du contenu problématique.
Highlight
Qu'entend-on par « surveillance des médias sociaux » ?
Un nombre croissant d'OGE identifient la capacité de surveiller les médias sociaux comme une compétence qui les aiderait à remplir un mandat de lutte contre la désinformation. Cependant, l'expression « surveillance des médias sociaux » implique généralement deux fonctions différentes.
La première fonction consiste à surveiller l'utilisation des médias sociaux par les candidats, les partis, les médias ou d'autres acteurs électoraux désignés dans le but d’assurer le respect des orientations légales et réglementaires. Cette fonction est intimement liée à la détection des violations et est nécessaire à l'application du cadre juridique et réglementaire tel qu'il s'applique aux médias sociaux.
La deuxième fonction qui est souvent impliquée par l'expression « surveillance des médias sociaux » pourrait être décrite plus précisément comme « écoute sociale ». Plutôt que de surveiller le comportement de certains acteurs, l’écoute sociale est une tentative de distiller le sens du vaste univers des conversations qui se déroulent sur les médias sociaux et d'autres sources en ligne afin d'informer les actions appropriées.
Ces deux fonctions sont explorées dans des sous-catégories distinctes : (4) Surveillance des réseaux sociaux au regard de la conformité aux lois et aux règlements et (5) Écoute sociale et réponse aux incidents.
4.1 Définir une approche de surveillance.
L’OGE a-t-il un mandat légal pour surveiller les réseaux sociaux ?
Avant de lancer un effort de surveillance des réseaux sociaux sous la direction de l’OGE, il convient d’examiner le cadre juridique et réglementaire pour vérifier les éléments suivants :
- L’OGE a-t-il un mandat légal pour entreprendre des activités de surveillance ?
- Dans le cas contraire, ce mandat incombe-t-il à une autre entité gouvernementale qui empêcherait l’OGE de mener ses propres efforts de surveillance ?
- Quelles directives législatives et réglementaires existent, le cas échéant, pour l’utilisation des réseaux sociaux en période électorale ?
- S’il n’y a pas de dispositions spécifiques liées à l’utilisation des réseaux sociaux, existe-t-il des principes généraux concernant la conduite des candidats, des partis ou d’autres acteurs électoraux pendant la campagne, qui peuvent être raisonnablement appliqués ou étendus aux réseaux sociaux ?
Quel est le but de l’initiative de surveillance ?
Après examen du cadre législatif et réglementaire, un OGE doit établir l’objectif de son effort de surveillance. Par exemple, l’objectif est-il :
- De détecter la publicité politique sur les réseaux sociaux qui a lieu en dehors de la période de campagne désignée ?
- D’identifier les cas dans lesquels les comportements en ligne contreviennent au cadre juridique régissant l’abus des ressources de l’État ?
- De surveiller le contenu publié par les candidats et les partis afin de garantir le respect des directives légales de lutte contre les discours de haine dirigés contre les femmes ou d’autres groupes marginalisés, l’incitation à la violence, la désinformation sur les élections ou d’autres messages interdits ?
- De vérifier que les dépenses déclarées en publicité politique sur les réseaux sociaux sont exactes ?
S’il existe peu ou pas de directives juridiques ou réglementaires actuelles sur l’utilisation des réseaux sociaux lors des élections, l’effort est-il :
- De recueillir des informations et des preuves pour éclairer les futures conversations sur la réforme du droit ou l’élaboration d’un code de conduite ?
- De sensibiliser le public aux contenus et comportements problématiques auxquels les partis et les candidats se livrent sur les réseaux sociaux, y compris le harcèlement et la violence en ligne à l’égard des femmes et d’autres groupes marginalisés ?
Quelle est la période de surveillance des réseaux sociaux?
Sur la base de l’objectif identifié, l’OGE doit définir combien de temps avant les élections les efforts de surveillance des réseaux sociaux commenceront, et s’ils s’étendront à une partie quelconque de la période post-électorale.
La surveillance sera-t-elle une opération interne ou l’OGE se coordonnera-t-il avec d’autres entités ?
Un OGE devra vérifier s’il a une capacité suffisante pour mener une initiative de surveillance des médias de manière indépendante :
- L’OGE dispose-t-il de la capacité humaine et des ressources financières pour mener ses propres efforts de surveillance ?
- Existe-t-il d’autres organismes publics ou organes de surveillance des réseaux sociaux pendant les élections qui devraient être consultés ou avec lesquels un OGE devrait établir un partenariat avant de lancer sa propre initiative ?
- Existe-t-il des restrictions ou des interdictions qui limiteraient la capacité de l’OGE à se procurer des services externes auprès du secteur privé afin d’augmenter sa capacité ?
- Si l’objectif de l’effort de surveillance est de rassembler des informations et des preuves pour éclairer les futures conversations sur la réforme du droit ou pour comprendre comment certains groupes marginalisés sont ciblés par la désinformation, les acteurs crédibles de la société civile ont-ils un rôle à jouer pour promouvoir une réforme juridique ou représenter les groupes marginalisés et fournir à l’OGE des informations et des analyses supplémentaires ?
Quels types d’outils de transparence publicitaire sur les réseaux sociaux sont disponibles dans le pays ?
Comprendre ce qu’un OGE peut faire dépend en partie des outils que les sociétés de technologie et de réseaux sociaux ont mis à disposition dans leur pays :
- La bibliothèque de publicités de Facebook1 imposera-t-elle la divulgation des publicités politiques et thématiques dans le pays concerné ?
- Un rapport de transparence Google2 couvrant la publicité politique sera-t-il disponible pour le pays ?
- D’autres plateformes de réseaux sociaux largement utilisées offrent-elles des rapports ou des fonctionnalités de transparence de quelque nature que ce soit ?
- En cas de réponse affirmative à l’une des questions ci-dessus, l’OGE est-il équipé pour utiliser ces outils afin d’exécuter sa mission, ou une formation est-elle nécessaire ?
- L’OGE a-t-il le pouvoir de faire des demandes d’informations juridiquement contraignantes aux plateformes de réseaux sociaux dans le cadre d’un effort d’application de la loi ?
La section du guide consacrée aux Réponses législatives et réglementaires à la désinformation traite plus en détail des considérations de définition nécessaires à la mise en place d’une approche de surveillance des réseaux sociaux.
4.2 Lier la surveillance des réseaux sociaux à une réponse
Sur la base de l’objectif d’effort de surveillance des réseaux sociaux, l’OGE doit identifier comment il utilisera les informations qu’il obtiendra grâce à ses efforts de surveillance.
- Si un cadre législatif et réglementaire définissant les violations est en place, l’OGE doit identifier comment les cas seront transmis aux organismes d’application appropriés pour une enquête plus approfondie et d’éventuelles sanctions, s’il n’a pas la capacité de prononcer lui-même des sanctions.
- Si l’objectif identifié est d’éclairer une future réglementation ou l’élaboration d’un code de conduite, un plan doit être établi pour savoir comment le contenu ou les comportements qui pourraient constituer une violation dans un cadre juridique révisé sont documentés et expliqués d’une manière convaincante pour l’audience des régulateurs ou des législateurs.
- Si l’objectif est de décourager les mauvais comportements en sensibilisant le public aux conduites douteuses ou illégales des partis et des candidats, le service des relations publiques ou des communications de l’OGE doit participer à l’élaboration d’un plan de communication des conclusions au grand public.
Les réponses doivent prendre en compte les considérations de genre et, en particulier, veiller à ce que les violations visant les groupes marginalisés ou exploitant les stéréotypes sur les groupes marginalisés soient spécifiquement abordées, afin que ces groupes ne soient pas davantage marginalisés par des réponses qui ne tiennent pas compte de leurs préoccupations et de leurs expériences.
1La bibliothèque publicitaire de Facebook couvre les publicités diffusées sur les applications et services de Facebook, notamment Instagram
2Lorsqu'ilest disponible, le rapport de transparence de Google couvre la publicité sur Google, YouTube et les propriétés des partenaires