Les OGE sont soumis à un ensemble de pressions importantes, notamment : une perception accrue de la part du public de la désinformation comme menace pour les élections ; la pression qu’ils subissent pour qu’ils soient perçus comme luttant activement contre la désinformation ; les différents niveaux de compréhension de la nature du problème parmi les OGE ; et le fait que des réponses efficaces doivent être apportées dans l’urgence. Dans ce contexte, la réaction d’un OGE sur le moment peut être guidée par la perception d’un besoin immédiat plutôt que de refléter une stratégie plus large, mieux adaptée à la promotion de l’intégrité électorale. La planification de la communication de crise est l’occasion d’élaborer une feuille de route permettant aux OGE de répondre à la désinformation électorale pendant les étapes sensibles du processus électoral. Dans les cas où un OGE s’est historiquement appuyé sur des stratégies de communication ad hoc pendant une crise, un investissement dans l’élaboration de programmes peut aider les OGE à formaliser une stratégie de communication de crise afin d’améliorer la rapidité et la précision avec lesquelles ils sont en mesure de répondre aux fausses informations et à la désinformation.
Une tactique des campagnes de désinformation – qu’elles soient menées par des acteurs étrangers ou nationaux – peut être la tentative délibérée de créer une mentalité de crise afin de semer la méfiance ou la confusion et de saper la confiance dans les institutions démocratiques et le processus électoral. Les fausses informations ou la désinformation ne sont pas toutes indicatives d’une crise, et déterminer le moment et la forme de la réponse d’un OGE, et dans quelles circonstances il apportera une telle réponse, fait partie du travail préparatoire qui peut aider un OGE à concentrer ses ressources et ses décisions en cas de besoin.
« Sachez comment vous réagirez si un problème se présente, si des fausses nouvelles émergent. L’OGE ne peut pas se contenter de recevoir des coups. » - Dr. Lorenzo Córdova Vianello, conseiller-président de l’Institut national électoral du Mexique
2.1 Ne pas provoquer soi-même de crise
En raison de l’attention accrue portée à la désinformation numérique, les OGE peuvent se sentir obligés de répondre à tous les éléments de fausse information ou de désinformation électorale qu’ils rencontrent. La planification de la communication de crise peut aider à établir des critères quant aux circonstances qui justifieront une réponse de l’OGE, et sous quelle forme. Mettre en évidence l’existence d’un contenu faux ou trompeur dans le but de le réfuter n’est pas toujours la meilleure solution. En expliquant leur réflexion sur l’opportunité de réfuter ou d’ignorer un tel contenu, l’organisation à but non lucratif Firt Draft écrit que, « si certaines histoires, rumeurs ou contenus visuels, aussi problématiques soient-ils, ne gagnaient pas du terrain, une décision était prise de ne pas fournir d’oxygène supplémentaire à ces informations. Les médias doivent tenir compte du fait que la publication de démentis peut faire plus de mal que de bien, d’autant plus que les agents à l’origine des campagnes de désinformation considèrent l’amplification médiatique comme une technique clé pour réussir ». Cette même réflexion est importante pour les OGE. La planification de la communication de crise donne aux OGE le temps et l’espace nécessaires pour élaborer les meilleures pratiques sur la manière dont ils fourniront des clarifications ou des réfutations afin de ne pas exacerber le problème par inadvertance. Les bonnes pratiques sur la manière de fournir des vérifications efficaces des faits continuent d’évoluer, sujet qui est exploré plus en détail dans la sous-catégorie du guide sur la vérification des faits.
2.2 Créer de la clarté sur les lignes de communication et d’autorité
Une partie intégrante de la planification de la communication de crise consiste à s’assurer que les flux d’informations et les hiérarchies sont définis à l’avance. Cela peut être particulièrement pertinent dans les cas où l’OGE est appelé à confirmer des faits ou à publier rapidement des déclarations de clarification et des contre-récits. Un protocole de communication clair et direct de coordination des réponses peut s’avérer essentiel pour restaurer la confiance du public, car des clarifications vagues ou contradictoires peuvent aggraver le problème. Il est impératif de clarifier qui a le droit de faire des déclarations et par quels moyens ces déclarations seront faites - non seulement au sein de l’OGE, mais aussi en consultation avec les autres organismes publics qui peuvent être appelés à faire des clarifications. Ne pas le faire peut alimenter la circulation des fausses information et de la désinformation qu’une déclaration publique peut avoir pour but d’étouffer. Par exemple, en réponse à des allégations de fraude électorale ayant lieu en Malaisie et provenant de l’étranger, les deux organes électoraux indonésiens ont d’abord publié des déclarations contradictoires (l’un affirmant que l’allégation était entièrement fabriquée, et l’autre déclarant que le problème était réel, mais mineur et qu’il avait déjà été détecté) – ce qui a créé davantage de confusion et potentiellement sapé la crédibilité des deux organes. La mise en place d’un protocole clair et rapide sur la manière dont les deux agences coordonneraient les messages aurait pu aider à éviter ce faux pas.
Les protocoles de communication de crise doivent trouver un équilibre entre rapidité et contrôle interne de l’exactitude. Un OGE doit éviter les goulots d’étranglement en matière de communication qui empêchent de traiter rapidement les demandes de clarification. Dans le cas de l’Indonésie, l’organisation de la société civile MAFINDO, qui vérifie les faits, demande fréquemment à la KPU et à Bawaslu de réfuter des informations fausses ou trompeuses en circulation, mais l’OSC a signalé que les délais de réponse variaient considérablement, prenant parfois plusieurs jours pour obtenir une réponse, si tant est qu’une réponse soit reçue. Etant donné que la rapidité avec laquelle une fausse rumeur est réfutée ou supprimée une fois qu’elle a commencé à gagner du terrain a un impact significatif sur la portée ultime de cette information, dans les cas où une réponse claire doit être donnée, les bonnes personnes devraient avoir le pouvoir de clarifier les choses.
2.3 Équilibrer plusieurs priorités
La planification de la communication de crise peut également aider à établir des directives institutionnelles sur l’équilibrage des priorités de communication avec d’autres priorités électorales. « Bien qu'il puisse être important pour le public de voir les dirigeants intervenir lors d'une réponse à une crise, il y a une limite. »1 Par exemple, les autorités électorales indonésiennes ont été très actives dans les enquêtes sur les cas de fausse information et de désinformation virales à l’approche des élections de 2019. Dans le cas d’une rumeur selon laquelle des cargos remplis de bulletins pré-votés étaient arrivés à Jakarta, les commissaires eux-mêmes se sont mobilisés pour se rendre au port tard dans la soirée le jour où la rumeur a pris de l’ampleur, afin d’enquêter et de faire une déclaration publique. De même, quelques jours avant les élections, des commissaires ont été déployés en Malaisie dans un délai très court pour réfuter les allégations selon lesquelles des votes frauduleux avaient lieu à l’étranger. Dans ce cas grave où une fausse déclaration pouvait faire dérailler l’élection, cette réponse était transparente et visible, mais il convient de faire un calcul prudent quant au meilleur investissement en temps des commissaires et du personnel de l’OGE, en particulier à proximité des élections, lorsqu’il y a des demandes concurrentes.
2.4 Coordination avec d’autres entités publiques
L’OGE peut être l’organisme à la tête de la réponse à la crise ou être l’un des membres d’un réseau. La fausse information et la désinformation sont rarement cloisonnées et claires, et présentent souvent des aspects à réfuter qui relèvent de la compétence de l’OGE, tels que des informations fausses ou trompeuses directement liées au processus électoral, en combinaison avec d’autres questions sur lesquelles un autre organisme gouvernemental pourrait être mieux placé pour commenter, comme des problèmes de santé publique ou des rumeurs de violence le jour du scrutin. La sous-catégorie traitant de la coordination de l’OGE avec d’autres entités publiques fournit des considérations supplémentaires sur ce sujet.
La planification de la communication de crise doit également inclure la période post-électorale. Bien qu’un OGE puisse être actif pendant la période de campagne et le jour du scrutin pour surveiller et répondre aux contenus problématiques, la période qui suit immédiatement le jour du scrutin est l’une des périodes les plus à risque pour les informations fausses et trompeuses. La fausse information et la désinformation qui émergent au cours de cette période peuvent avoir des répercussions sur l’acceptation publique des résultats ou sur la violence post-électorale si, par exemple, des récits de fraude ou de malversation dans le scrutin, le dépouillement ou la transmission des résultats gagnent en popularité de manière à donner aux citoyens le sentiment d’être privés de leurs droits. Un interlocuteur impliqué dans la surveillance des médias en Afrique du Sud remarque que les mauvais acteurs peuvent modifier leur comportement pour le mieux pendant les périodes de campagne lorsqu’ils sont conscients de l’amélioration de la surveillance des médias et des efforts d’application, mais il a observé qu’en Afrique du Sud, le contenu « ignoble » s’est intensifié dès que les efforts de surveillance renforcée ont pris fin.
La période post-électorale immédiate peut être une période particulièrement éprouvante pour les OGE, car les bureaux de vote se clôturent et les résultats sont comptés, agrégés et certifiés. En outre, l’OGE est susceptible d’être appelé à résoudre des plaintes post-électorales et il peut également être partie prenante dans les affaires électorales portées devant les tribunaux. La coïncidence de cette période exceptionnellement chargée pour l’OGE avec une fenêtre de temps particulièrement propice à la fausse information et à la désinformation signifie qu’un plan clair pour le protocole de communication pendant la période post-électorale est essentiel, notamment en ce qui concerne la clarté de la communication avec les entités publiques et le partage des responsabilités entre elles. Les autorités électorales indonésiennes en ont fait l’expérience suite aux élections de 2019, lorsque des rumeurs de fraude électorale ont conduit à des manifestations qui ont entraîné la mort de 9 personnes et la restriction de l’accès aux réseaux sociaux par les autorités gouvernementales dans le but d’endiguer la propagation de la désinformation et des troubles. À l’approche du jour des élections, Bawaslu avait joué un rôle de premier plan dans la coordination des réponses à la désinformation électorale et dans le signalement des contenus problématiques à supprimer par les plateformes de réseaux sociaux. Cependant, leurs capacités limitées dans les jours qui ont suivi les élections les ont forcés à se retirer de ce rôle dans l’espoir que d’autres organismes gouvernementaux soient en mesure d’intervenir. La planification de la communication de crise peut aider à faciliter une transition en douceur des responsabilités de l’OGE vers d’autres organismes lorsque cela est approprié. Un plan peut aider à déterminer à l’avance de quelle manière et à quel moment les responsabilités pourraient changer - à la fois les responsabilités de communication publique ainsi que de communication avec les plateformes de réseaux sociaux.
2.5 Des messagers de confiance pour amplifier les messages
En anticipant la manière dont ils vont contrer la fausse information et la désinformation électorale, les OGE doivent se demander quels sont les messagers efficaces auxquels ils peuvent faire appel pour amplifier rapidement les communications de crise et atteindre de manière crédible les publics les plus exposés :
- Quels sont les messagers les plus efficaces pour atteindre les sympathisants des différents partis politiques ?
- Qui a de la crédibilité auprès de groupes susceptibles d’être enclins à la violence ou à l’extrémisme dans un contexte où les fausses informations sont monnaie courante ?
- Qui peut atteindre les femmes, les jeunes ou les différentes communautés religieuses ?
Highlight
Le partenariat avec le club de football brésilien a diffusé un contenu utilisant des analogies sportives, dont cet exemple faisant référence au système de vérification du football VAR. Dans ce cas, le contenu cherche à renforcer la confiance dans l'intégrité des élections et à contrer les rumeurs de failles de sécurité dans les machines à voter électroniques du Brésil en notant l'utilisation généralisée de machines similaires dans d'autres pays.
L’identification proactive des bons messagers peut être une étape préparatoire clé permettant à un OGE de diffuser des informations factuelles le plus efficacement possible sous pression. Préparer ces réseaux à diffuser des informations à leurs communautés en période de crise de l’information peut être un moyen essentiel de s’assurer que le message d’un OGE est amplifié par des sources crédibles dans des périodes où un flot d’informations pourrait noyer les acteurs faisant autorité qui s’expriment depuis leurs propres plateformes, plus limitées. Par exemple, avant les élections locales de 2020, la Cour Électorale Supérieure (TSE) du Brésil s’est associée à l’un des clubs de football les plus populaires du pays pour lutter contre les fausses nouvelles.
En 2018, le bureau du Premier ministre finlandais a créé une initiative pour travailler avec des influenceurs des réseaux sociaux afin de diffuser des informations crédibles dans un scénario de crise. Le réseau de 1 500 influenceurs qui a été établi grâce à cette initiative a d’abord été activé pour diffuser des informations de santé crédibles pendant la pandémie de COVID-19. Travailler avec des influenceurs des réseaux sociaux a permis au gouvernement d’atteindre des publics qui ne sont pas des consommateurs de médias grand public. Par exemple, une vidéo d’une personnalité influente de YouTube interviewant un ministre du gouvernement et des experts de la santé a reçu plus de 100 000 vues en deux jours. Un modèle similaire pourrait être utilisé par un OGE, par exemple, en engageant des influenceurs des réseaux sociaux avant une élection pour signer un engagement de paix qui les oblige à diffuser des informations crédibles et à promouvoir la paix le jour du scrutin et directement après, dans un pays où la violence électorale est une préoccupation.
1CEPPS/IFESExecutive Curriculum in Electoral Leadership (iEXCEL) comprend un module sur la gestion de crise. Plus d'informations https://www.ifes.org/iEXCEL