1. Définitions

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juil 26, 2022

1.1 Qu’est-ce qui constitue un réseau social ou numérique ?

L’environnement des médias en ligne continue d’évoluer et les réglementations élaborées aujourd’hui pour traiter les éléments spécifiques de cet environnement peuvent rapidement devenir obsolètes. Les régulateurs doivent tenir compte de la gamme complète des outils de communication Internet pour déterminer dans quelle mesure ils doivent élaborer leurs directives.

En 2014, International IDEA a défini les réseaux sociaux comme « des plateformes Internet ou mobiles qui permettent des interactions bidirectionnelles par le biais de Contenus Générés par les Utilisateurs (CGU) et de la communication. Les réseaux sociaux ne sont donc pas des médias qui proviennent d’une seule source ou qui sont diffusés à partir d’un site Internet statique. Ce sont plutôt des médias sur des plateformes spécifiques conçues pour permettre aux utilisateurs de créer (« générer ») du contenu et d’interagir avec l’information et sa source ».

Dans les années qui ont suivi, les médias sociaux ont continué d’évoluer et des définitions telles que celles ci-dessus peuvent ne plus saisir suffisamment l’éventail d’activités en ligne que les régulateurs souhaitent aborder. Une analyse effectuée par le Knight First Amendment Institute de l’université de Columbia sur les 100 plateformes de réseaux sociaux les plus populaires met en évidence la complexité de la classification des réseaux sociaux.  Capturer l’activité de campagne qui se déroule sur des applications de messagerie numérique, telles que WhatsApp, Telegram ou Signal, ou sur des forums Internet de sous-culture, par exemple, peut nécessiter une définition plus large que celle ci-dessus. Le rôle dans les campagnes des moteurs de recherche, des distributeurs de publicité en ligne ou de la télévision en continu sur Internet basée sur la publicité peut également nécessiter une définition plus large.

La loi allemande sur le traité interétatique des médias de 2020 (Medienstaatsvertrag – « MStV ») fournit l’une des définitions les plus complètes de la gamme d’activités qu’elle cherche à régir. La loi introduit « des réglementations complètes spécifiques aux médias… pour les fournisseurs qui agissent en tant que gardiens des contenus médiatiques ou des services pour les diffuser », tels que « les moteurs de recherche, les téléviseurs intelligents, les assistants linguistiques, les magasins d’applications [et] les réseaux sociaux ». La loi tente de fournir des définitions détaillées dans les catégories de plateformes médiatiques, d’interfaces utilisateur et d’intermédiaires médiatiques.

Plutôt que de faire référence aux réseaux sociaux ou numériques, le code électoral du Canada fait référence aux « plateformes en ligne », les définissant en fonction de la caractéristique principale réglementée par le code, à savoir qu’elles vendent de la publicité. La loi canadienne définit une plateforme en ligne comme « un site Internet ou une application Internet dont le propriétaire ou l’exploitant, dans le cadre de ses activités commerciales, vend, directement ou indirectement, des espaces publicitaires sur le site ou l’application à des personnes ou à des groupes ».2

D’autres juridictions restreindront davantage les réseaux sociaux ou les plateformes en ligne obligés de se conformer à une nouvelle loi ou réglementation sur la base d’un critère spécifique, tel que le nombre d’utilisateurs. La loi allemande Netzwerkdurchsetzungsgesetz (NetzDG), par exemple, qui oblige les entreprises à supprimer rapidement les contenus illégaux de leurs plateformes, ne s’applique qu’aux plateformes Internet comptant au moins 2 millions d’utilisateurs.3

 

En définissant les réseaux sociaux ou les médias numériques, les rédacteurs devront tenir compte des éléments suivants :

  • Quel type de comportement en ligne cette loi vise-t-elle ? Inclut-elle tous les sites Internet qui autorisent la publicité payante ou les commentaires publics, comme les sites d’information en ligne ou les blogs ? S’applique-t-elle aux applications de messagerie numérique (c’est-à-dire WhatsApp) ? Aux moteurs de recherche ? Aux distributeurs de publicité sur Internet ? 
  • L’objectif de la loi est-il uniquement de réglementer les activités payantes en ligne se déroulant sur les réseaux sociaux ? Si c’est le cas, la définition devrait-elle être axée sur les entités en ligne qui diffusent des publicités payantes ? 
  • Les obligations créées par cette loi sont-elles trop lourdes pour les petites entreprises de réseaux sociaux au point d’étouffer la concurrence en raison des coûts élevés de mise en conformité ? En tant que tel, la loi devrait-elle être limitée aux plateformes qui dépassent un certain nombre d’utilisateurs quotidiens ou ont un certain montant de revenus ou de valeur marchande ?
Paragraphs

1.2 Qu’est-ce qu’une campagne en ligne ? (contenu organique vs contenu payant)

Les cadres juridiques et réglementaires peuvent souhaiter faire la distinction entre les activités « organiques » et « payantes » qui sont entreprises par l’acteur réglementé. Le contenu de campagne organique, par exemple, serait du matériel partagé par un parti ou un candidat avec son public établi sur les réseaux sociaux qui peut ou non interagir avec ce matériel ou le diffuser davantage. La portée du contenu organique est déterminée par la taille de l’audience des réseaux sociaux d’un candidat ou d’une campagne, c’est-à-dire les entités qui ont choisi de suivre ou d’interagir avec l’acteur des réseaux sociaux en question, ainsi que la qualité et l’attrait du contenu qui est partagé. 

Le « contenu payant », d’autre part, est un matériel pour lequel l’acteur réglementé a payé pour apporter une visibilité supplémentaire auprès d’un public qui n’a peut-être pas choisi de s’intéresser à ce contenu. Les différents médias sociaux et plateformes numériques proposent différentes fonctionnalités payantes pour étendre la portée du contenu, y compris, mais sans s’y limiter, le placement de publicités ou le paiement donnant la priorité au contenu dans les flux de réseaux sociaux des utilisateurs ou les résultats des moteurs de recherche. Si un parti paie pour le développement de messages ou de supports de campagne, même s’ils sont ensuite distribués par des canaux organiques, cela peut également être considéré comme une dépense qui doit être signalée, comme indiqué dans la section définition suivante intitulée « Qu’est-ce qui constitue une dépense de publicité numérique ou sur les réseaux sociaux ? »

Cette distinction est particulièrement pertinente dans les cas où il existe des restrictions à la campagne en dehors d’une période désignée. Par exemple, une définition claire est nécessaire pour délimiter les comportements en ligne autorisés avant le début d’une campagne électorale ou pendant une période de silence électoral précédant directement l’élection.

Les régulateurs de différents pays ont choisi de répondre à cette question de différentes manières, certains déterminant que le contenu des réseaux sociaux, qu’il soit payant ou non, constitue une campagne en ligne, tandis que d’autres déterminent que la réglementation ne concerne que la publicité payante. 

Highlight


En décidant où délimiter les frontières de la campagne en ligne, les régulateurs peuvent se demander si leur intention première est de réglementer les activités des pages ou comptes officiels des candidats et des partis ou s'ils souhaitent réglementer l'activité de tout utilisateur de médias sociaux participant à la campagne. Si l'objectif est de régir les comptes officiels de médias sociaux des candidats et des partis, la surveillance de tous les messages et de l'activité de ces comptes - rémunérés ou non - est un objectif plus réalisable étant donné que seul un nombre discret de comptes devra être contrôlé pour la conformité.

D'autre part, si la réglementation vise à avoir un impact sur tous les utilisateurs de médias sociaux qui publient du contenu politique, et pas seulement sur les comptes officiels des partis et des campagnes, la surveillance de tous les messages organiques de chaque utilisateur de médias sociaux devient peu pratique et risque d'être appliquée de manière sélective ou partisane. Le fait de se concentrer sur la publicité payante, en particulier dans les pays où les plateformes de médias sociaux publient des rapports de transparence, fait de la surveillance de toute publicité politique payante un objectif plus réaliste.

Le cadre juridique électoral du Venezuela, par exemple, stipule que l'expression politique non rémunérée sur les médias sociaux par les candidats ou les partis n'est pas considérée comme une campagne.4 Le cadre canadien reconnaît la complexité de faire respecter le silence de campagne en ligne en exemptant « la transmission d'un message qui a été transmis au public sur ce qu'on appelle communément Internet avant la période d'interdiction [...] qui n'a pas été modifié pendant cette période ».5 De même, les directives de 2010 de la Commission électorale nationale de Pologne interdisent toute activité en ligne qui constitue une campagne pendant la période de silence électoral, mais permettent au contenu qui a été mis en ligne avant le début de la période de silence de rester visible.6

En définissant les campagnes en ligne, les régulateurs devront prendre en compte les éléments suivants :

  • Souhaitent-ils faire la distinction entre les contenus diffusés par des moyens payants et non payants ? 
  • Le contenu partagé par les partis et les candidats est-il le seul à faire l’objet d’une réglementation, ou les dispositions s’appliquent-elles à un éventail plus large d’utilisateurs d’Internet susceptibles de publier du contenu politique ou d’acheter des publicités politiques ou thématiques ?
  • Quelle est la capacité de l’organisme de réglementation à surveiller et à faire respecter les violations de campagne, et cela a-t-il un impact sur la définition stricte ou large des campagnes en ligne ?

1.3 Comment la loi définit-elle la publicité politique, la publicité de campagne et la publicité thématique ?

Le droit national peut adopter une approche générale ou étroite pour définir les types de publicité qui font l’objet d’un examen minutieux. Il est essentiel de définir clairement les critères selon lesquels les publicités payantes en ligne seront considérées comme faisant partie d’une catégorie réglementée pour toute réglementation qui, par exemple, tente de placer des garde-fous autour de la publicité politique autorisée ou exige des divulgations spécifiques liées à la publicité politique en ligne. 

Les codes électoraux et les plateformes de réseaux sociaux utilisent des définitions différentes pour la « publicité politique », la « publicité de campagne », la « publicité électorale » et la « publicité thématique ». Ces expressions n’ont pas de définitions universelles, et établir les distinctions entre ces concepts est un défi courant lors de la réglementation des campagnes hors ligne. Pour les campagnes en ligne et hors ligne, des distinctions subtiles au sein de ces définitions peuvent considérablement modifier la portée et l’impact d’une loi. 

Dans les pays qui ont désigné des périodes de campagne, la « publicité de campagne » et le « financement de campagne » sont des termes utilisés pour délimiter les activités et les dépenses qui se produisent au cours de cette période désignée, tandis que la « publicité politique » et le « financement politique » incluraient les activités et les dépenses d’un parti qui ont lieu en dehors de la période de campagne ou qui se rapportent au fonctionnement général du parti. 

Aux fins de cette section du guide, le terme « publicité politique » sera utilisé comme terme général pour désigner la publicité placée par des partis politiques, des candidats ou des tiers agissant en leur nom, ainsi que toute publicité (indépendamment de l’auteur de la publicité) qui font explicitement référence à un parti politique, à un candidat ou à une élection ou qui encouragent un choix électoral particulier. La « publicité de campagne » ne sera utilisée que pour faire référence à des mesures qui s’appliquent spécifiquement à une période de campagne désignée. 

La distinction est importante, car certaines dépenses des partis, par exemple le placement de publicités à des fins d’éducation des électeurs, pourraient être considérées comme des publicités politiques ou des publicités de campagne selon les définitions utilisées. Si les définitions sont indistinctes, les candidats et les partis qui mènent des activités d’éducation des électeurs en dehors de la période de campagne peuvent faire valoir que de tels messages font partie du cours normal de leurs activités et non d’une campagne, ouvrant ainsi la voie aux partis pour contourner les règlements relatifs aux campagnes.

L’expression « publicité thématique » est utilisée dans cette section pour saisir un éventail plus large de publicités faisant référence à des problèmes sociaux ou politiques, mais ne faisant pas explicitement référence à un parti, un candidat ou une élection. Les publicités thématiques peuvent être diffusées par toute entité, qu’elles soient expressément politiques ou non. Les pays qui soumettent à la réglementation un éventail plus large de publicités thématiques en ligne peuvent choisir de le faire afin de dissuader les publicités clandestines ayant des objectifs politiques, sociaux ou financiers, mais qui ne nomment pas spécifiquement les candidats ou les partis dans le but de contourner la réglementation. Une définition étendue élargit considérablement la gamme des publicités qui doivent alors être soumises à des réglementations ou à un contrôle. Facebook note que pour les pays qui font le suivi des publicités thématiques, celles-ci peuvent provenir de toute une série d’annonceurs, notamment « des militants, des marques, des groupes à but non lucratif et des organisations politiques ». 

Les tentatives de réglementation des publicités thématiques soulèvent également des considérations relatives à la liberté d’expression de la société civile et des groupes de défense des droits. En Irlande par exemple, les activités réglementées comprennent celles « [...] visant à promouvoir ou s'opposer, directement ou indirectement, aux intérêts d'un tiers dans le cadre de la conduite ou de la gestion de toute campagne menée dans le but de promouvoir ou procurer un résultat particulier en rapport avec une ou plusieurs politiques ou fonctions du gouvernement ou de toute autorité publique. » 8 Le débat sur cette disposition a mis en évidence les préoccupations qu'une définition aussi large pourrait avoir sur le travail de plaidoyer et de campagne des organisations de la société civile.9

La Nouvelle-Zélande et le Canada ont également élaboré des définitions suffisamment larges de la publicité électorale pour permettre la sanction de publicité politique en ligne déguisée en publicité thématique.

  • Nouvelle-Zélande10 
    • Dans cette loi, la publicité électorale — 
      • (a) désigne une publicité, quel que soit le support, qui peut raisonnablement être considérée comme encourageant ou persuadant les électeurs de faire l’une ou l’autre des choses suivantes, ou les deux : 
      • (i) voter, ou ne pas voter, pour un type de candidat décrit ou indiqué par référence à des opinions ou des positions qui sont ou ne sont pas soutenues ou prises (que le nom du candidat soit ou non indiqué) : 
      • (ii) voter, ou ne pas voter, pour un type de parti décrit ou indiqué par référence à des opinions ou des positions qui sont ou ne sont pas soutenues ou prises (que le nom du parti soit ou non indiqué) ;
  • Canada11 
    • Publicité électorale désigne la transmission au public par quelque moyen que ce soit au cours d’une période électorale d’un message publicitaire qui favorise ou s’oppose à un parti ou à l’élection d’un candidat, notamment en prenant position sur une question à laquelle un parti ou un candidat est associé.

Les définitions de la Nouvelle-Zélande et du Canada distinguent davantage la publicité électorale d’un contenu éditorial ou d’opinion.

Le fait que la législation nationale prévoie que les publicités sur des questions politiques ou sociales soient soumises à des mesures de transparence ou de surveillance supplémentaires peut avoir un impact sur les informations collectées et cataloguées par Facebook, et éventuellement par d’autres plateformes en ligne. Par exemple, au début de l’année 2021, Facebook a capturé un plus grand éventail de publicités dans sa bibliothèque publicitaire pour le Canada, l'Union européenne, Singapour, Taiwan, le Royaume-Uni et les États-Unis que pour les autres pays.12 Parmi les 34 pays qui ont eu accès à la bibliothèque de publicités de Facebook en juillet et août 2020, seules la Nouvelle-Zélande et la Birmanie ont exigé une divulgation supplémentaire pour la publicité à caractère social en plus des publicités politiques et électorales (qui s’appliquaient à tous les pays restants). Dans le cas de la Nouvelle-Zélande, cela peut avoir été en réponse à une disposition légale au niveau national exigeant des divulgations plus larges de la part de la plateforme concernant la publicité thématique, bien que le code juridique de la Birmanie soit muet sur le sujet.

En définissant la publicité politique, de campagne, électorale ou thématique, les régulateurs devront prendre en compte les éléments suivants :

  • Existe-t-il des définitions de publicité politique, de campagne, électorale ou thématique dans le cadre juridique électoral actuel ? Si oui, s’appliquent-elles à la publicité sur les réseaux sociaux ?
  • S’il n’y a pas de définition, ou qu’elle ne s’applique pas aux réseaux sociaux, ou qu’elle inclut une définition étroite de la publicité politique, serait-il avantageux d’élargir ou de réviser la définition ?
  • Le cadre juridique oblige-t-il les militants, les marques, les groupes à but non lucratif et les organisations politiques à divulguer les publicités thématiques ?
  • Dans chaque cas, s’agit-il d’une charge raisonnable à imposer à ces entités, qui ne les empêchera pas d’atteindre les publics visés en raison d’exigences trop lourdes ?
  • Quelles sont les implications du changement proposé sur la liberté d’expression, en particulier pour les organisations de la société civile engagées dans les activités de défense des droits ?

1.4 Qui sont les payeurs et les entités rémunérées dans le cadre des campagnes en ligne ?

Si les régulateurs tentent d’utiliser les mécanismes juridiques à leur disposition - y compris le cadre juridique réglementant le financement politique, la corruption publique ou l’utilisation des ressources de l’État - alors des définitions qui reconnaissent la complexité de l’écosystème de l’information doivent être envisagées. La création de désinformation à grande échelle par un acteur national ou étranger nécessitera probablement l’utilisation de fonds pour sécuriser le personnel, l’expertise et les matériaux nécessaires pour créer et maintenir une campagne en ligne soutenue. Une réglementation qui cherche à apporter de la transparence par le biais d’exigences de divulgation ou à réglementer les activités de campagne rémunérées doit donc reconnaître la multitude de relations financières pouvant constituer une dépense.

Réseaux sociauxLes campagnes sur les réseaux numériques et sociaux augmentent les possibilités de masquer l’origine des contenus en agissant par l’intermédiaire de tiers. Les mesures qui cherchent à apporter de la transparence dans ces flux financiers devront considérer non seulement qui est le payeur et le bénéficiaire, mais aussi qui est l’entité payée - la plateforme de réseaux sociaux elle-même ? Des influenceurs qui exploitent des pages ou des flux sur leurs plateformes respectives et qui peuvent être payés pour promouvoir du contenu politique ? Les employés du secteur public, qui font campagne via les réseaux sociaux au travail ? Des sociétés de relations publiques ou des entités de création de contenu (telles que des fermes de contenu ou des fermes de trolls) qui produisent et diffusent du contenu au nom d’une entité politique ?

De plus, ces entités opèrent-elles depuis l’intérieur du pays ou de manière extraterritoriale ? 

Le Canada, par exemple, exempte les messages sur les médias sociaux de sa définition de la « publicité » s'ils entrent dans les paramètres suivants : « la transmission par un individu, sur une base non commerciale sur Internet, de ses opinions politiques personnelles » (accentué par l’auteur).13 Cela peut être interprété comme exigeant que le paiement d'intermédiaires ou d'influenceurs sur les médias sociaux par des entités politiques soit divulgué en tant que publicité. Sans cette considération, les candidats et les partis politiques peuvent contourner les réglementations en payant des entités tierces pour promouvoir du contenu ou placer des publicités en leur nom. La nature des réseaux sociaux permet relativement facilement à une entité politique d’engager les services d’un tiers pour effectuer des activités autrement réglementées ou interdites sur les réseaux sociaux tout en contournant les exigences de divulgation. Les lois devraient inclure des définitions claires des termes afin de saisir cette réalité et combler les lacunes.

A l’inverse, les mesures qui sanctionnent ou imposent des obligations aux diffuseurs de contenus illicites – sans chercher à identifier les financeurs de ces contenus – sont peu susceptibles de dissuader les acteurs qui sont les bénéficiaires ultimes des campagnes de désinformation.

En définissant qui sont le payeur et les entités payées, les régulateurs devront prendre en compte :

  • Si une certaine action est interdite ou soumise à des exigences de divulgation, le cadre juridique et réglementaire s’applique-t-il également à l’embauche ou à l’instruction de tiers pour effectuer cette action ?
  • Comment la disposition légale ou réglementaire considérée impacte-t-elle le diffuseur de contenu par rapport au financeur de l’activité ?

Il n’y a pas de réglementation pour attraper le financeur, seulement celui qui diffuse [le contenu]. » — Représentant de la société civile indonésienne

1.5 Qu’est-ce qui constitue une dépense publicitaire numérique ou sur les réseaux sociaux ?

Si une approche légale ou réglementaire inclut des exigences de divulgation ou de transparence, il est important de définir les types de dépenses sur les publicités numériques ou les campagnes numériques qui doivent être divulguées. Ces exigences peuvent également devoir être revues à intervalles réguliers pour s’assurer qu’elles sont adaptées à l’évolution rapide des tactiques de campagne numérique.

Des exigences de divulgation rigoureuses fourniront des informations sur les sources de financement, le montant du financement fourni par chaque source et des informations détaillées sur la manière dont le financement a été utilisé. Une divulgation complète est nécessaire pour permettre de juger si les fonds proviennent de sources légalement autorisées et sont utilisés à des fins légitimes du parti et de la campagne. Les exigences de divulgation minimales permettent aux acteurs politiques de se conformer facilement à la loi tout en dissimulant les comportements douteux qui violent la finalité des exigences de divulgation.

L’analyse de la Commission Électorale britannique note que les dépenses de publicité numérique peuvent être facilement cachées sous différentes catégories de rapports. La Commission note qu’elle n’est pas en mesure de se faire une idée précise des sommes dépensées en publicité sur les réseaux sociaux, car les données se limitent aux paiements effectués directement par l’entité déclarante à des fournisseurs de réseaux sociaux identifiables, tels que Facebook ou YouTube. Cela ne tient pas compte du fait qu'une part importante des dépenses numériques est réalisée par des agences de conseil ou des agences de publicité intermédiaires.14 Par exemple, le Parti Travailliste a signalé des dépenses de publicité numérique de 16 000 £ lors des élections parlementaires de 2015 au Royaume-Uni, lorsque des calculs ultérieurs ont montré que le total était plus proche de 130 000 £ via des agences de publicité intermédiaires. De telles pratiques ont conduit la Commission Électorale à conclure que des exigences de dépenses plus détaillées étaient nécessaires.15

En définissant les informations à inclure dans les exigences de divulgation, les régulateurs devront prendre en compte les éléments suivants :

  • Qu’est-ce qu’une dépense ? Par exemple :
    • Seul le coût pour placer une publicité ? 
    • Le paiement de sociétés de publicité numérique ou de relations publiques pour concevoir et déployer des campagnes publicitaires ? 
    • Le coût de production d’une publicité ? 
    • Le coût du ciblage du public ? 
    • Le coût de développement et de déploiement de chatbots (ou d’autres robots) pour interagir avec les utilisateurs sur les plateformes de réseaux sociaux ? 
    • Le paiement direct ou par un tiers de fermes de contenu (ou de trolls) pour diffuser en grand nombre du contenu ou des messages désignés sur les réseaux sociaux ? 
    • Le coût pour obtenir le soutien d’influenceurs ?

1.6 Existe-t-il un délai pendant lequel les dépenses doivent être divulguées ?

Pour les pays qui ont défini des périodes de campagne décrites dans la loi ou la réglementation, une faille se crée si les régulateurs exigent une divulgation détaillée des dépenses publicitaires sur les réseaux sociaux uniquement pendant la période de campagne. Bien que de telles dépenses puissent toujours être saisies dans les rapports financiers réguliers des partis, les chiffres peuvent n’être saisis qu’une fois par an et, selon les exigences de déclaration, peuvent contenir moins de détails que ce qui peut être requis pendant les périodes de campagne. De plus, le fait qu’une dépense soit définie comme un accord pour effectuer un paiement ou un paiement lui-même peut avoir une incidence sur les rapports. Si la définition est imprécise, un candidat politique pourrait, par exemple, retarder le paiement à un intermédiaire de réseaux sociaux jusqu’après le jour de l’élection pour contourner les exigences de déclaration.

 

En définissant un délai de divulgation, les régulateurs devront prendre en compte les éléments suivants :

  • Comment les exigences de divulgation sont-elles déjà définies dans la loi en ce qui concerne les médias traditionnels ou le financement politique ? 
  • Le calendrier est-il conçu de manière à s’aligner sur le moment où les dépenses liées aux médias numériques ou aux réseaux sociaux sont susceptibles d’intervenir dans le cycle électoral ? Par exemple, le coût de ciblage des publics cibles ou de paiement pour le soutien d’un influenceur pourrait survenir bien avant le scrutin, ou le paiement pourrait avoir lieu après le jour du scrutin afin d’éviter les exigences de divulgation qui ne couvrent que la période de campagne immédiate.

Les limites des dépenses de financement des campagnes ne s’appliquent que pendant la période de campagne, mais il existe des dépenses de campagne également en dehors de la période officielle de campagne... Nous devons redéfinir le champ d’application du financement des campagnes pour qu’il soit plus complet. — Représentant de la société civile indonésienne

1.7 Pourquoi les définitions des fausses nouvelles et de la désinformation posent-elles problème ?

Les interventions juridiques et réglementaires qui tentent d’interdire ou de sanctionner les « fausses nouvelles » ou la désinformation se sont généralisées ces dernières années. Cependant, la difficulté à définir ces termes est l’une des raisons pour lesquelles de telles mesures sont fréquemment critiquées par ceux qui craignent leurs implications sur les droits fondamentaux. Tel que cela a été indiqué dans l’introduction de ce guide, les définitions précises de la désinformation sont insaisissables, et ce que l’on appelle communément la désinformation englobe un large éventail de comportements trompeurs et problématiques.

Si le succès d’une intervention légale ou réglementaire repose sur une définition précise, complète et universellement applicable de « fausses nouvelles », « fausses informations », « désinformation » ou un terme similaire, il est probable que l’intervention entraînera des dommages collatéraux à la liberté d’expression ou sera trop vague pour être applicable de manière fiable. Elle présente également un risque élevé d’être appliquée de manière sélective, par exemple contre des opposants politiques ou pour restreindre la liberté de la presse. 

Certaines juridictions ont choisi de laisser au contrôle judiciaire la question de déterminer quel contenu constitue une « fausse nouvelle ». La loi française, par exemple, stipule qu’il appartient à un juge de déterminer si un élément est une « fausse nouvelle » et donc susceptible d’être retiré ou confiné. La décision est prise en fonction de trois critères : les fausses nouvelles doivent être manifestes, diffusées délibérément à grande échelle, et entraîner un trouble de l'ordre public ou compromettre le résultat d'une élection.16 L'application proportionnée d'une telle loi dépend d'un pouvoir judiciaire indépendant et isolé des pressions politiques, de juges bien formés capables de comprendre l'écosystème de l'information numérique et d'un pouvoir judiciaire doté de ressources suffisantes pour accélérer l'examen de ces demandes, y compris les éventuels recours.

Les législateurs et les régulateurs devraient considérer l’éventail d’approches décrites dans ce texte avant de recourir à une interdiction brutale ou à la criminalisation des fausses nouvelles ou de la désinformation. Dans les cas où le contenu et le discours diffusés sur les réseaux sociaux vont à l’encontre du droit pénal, le renvoi du contenu en infraction pour enquête et poursuite en vertu de ces dispositions - telles que celles couvrant la diffamation, les discours de haine, la fraude ou le vol d’identité - est recommandé plutôt que l’adoption de sanctions pénales supplémentaires pour la diffusion de fausses nouvelles ou de désinformation.

 

Footnotes

2. Loi électorale du Canada, S.C. 2000, c. 9 (modifié en 2019) : Partie 16, Publicité électorale.

3. Network Enforcement Act, Federal Law Gazette I, p. 3352 ff. (2017) : art. 1 (1.2).

4. Règlement général de la loi organique des processus électoraux, n ° 130118-0005 (2013) : art. 210. 

5. Loi électorale du Canada, art. 324 (a). 

6. Magdalena Musial-Karg, "Le silence électoral dans les démocraties contemporaines. Questions sur le sens du silence électoral à l'ère d'Internet." (2013) : 104-105.

7. Le test de finalité de la Commission électorale britannique fournit un cadre utile pour établir des distinctions entre les différents types d'activités de campagne. 

8. Note explicative pour les tiers,” Commission des normes de la fonction publique (2015) : 11. (accentuation ajoutée)

9. Magnus Ohman, "Note sur la réglementation des tiers dans la région de l'OSCE." (2020) : 29 - 31

10. Loi électorale de la Nouvelle-Zélande, n ° 87 (modifié en 2020) : § 3A (1).

11. Loi électorale du Canada, Définitions : 3

12. Voir le centre d'aide de Facebook Business, "À propos des questions sociales"pour plus de détails sur la manière dont Facebook définit et suit les questions sociales, et sur les principales questions sociales suivies pour chacun des pays couverts

13. Loi électorale du Canada, art. 349.01 (1)(e). 

14. Élection générale du Parlement britannique en 2015 : Rapport sur les dépenses de campagne,” La Commission électorale du Royaume-Uni (2016) : 55-56.

15. Internet et les campagnes électorales : Étude sur l'utilisation d'internet dans les campagnes électorales,” Conseil de l'Europe (2018) : 17. Le problème n'est pas que les 114 000 £ restantes n'ont pas été déclarées, mais qu'elles n'ont pas été déclarées comme dépenses de publicité numérique.

16. “Contre la manipulation de l'information," Gouvernement Français (2018)